Psychologue en colère ou psychologue aigrie?

En ce moment, j’ai l’impression d’être perpétuellement en colère.

En colère devant l’état de la psychiatrie publique. 

En colère devant le manque criant de médecins. 

En colère devant l’incompétence. 

En colère devant la maltraitance.

En colère devant l’inaction, la résignation et la lassitude qui s’installe.

Si je me résigne, si je laisse tomber ma colère, que reste-t-il?

Lorsque je m’indigne, que je partage cette colère aux collègues, je me trouve face à une lassitude, un haussement d’épaules, une résignation face à une situation qui dure depuis bien trop longtemps déjà. Je lis aussi tous ces témoignages de maltraitances médicales, de maltraitances institutionnelles, de maltraitances des patients en psychiatrie. A raison.

Le système dysfonctionne à plein pot. On en paie tous les pots – justement – cassés.

Quand j’ai commencé le militantisme féministe, je n’étais que colère. Chaque jour, je lisais tous ces récits de violence, d’agression, d’oppression et ça me révoltait. Cette colère me bouffait littéralement et empiétait dans mon quotidien, dans la sphère privée. J’ai essayé de faire de cette colère un moteur, d’en faire une énergie créatrice. J’ai rejoint des associations sur le terrain, je me suis renseignée et informée pour aider à travers mon travail, accueillir au mieux les victimes en étant la plus bienveillante possible. Sur les réseaux sociaux, je milite différemment aussi. J’informe, je partage notamment ce qui relève de mon champ de compétence: la santé mentale.

La colère est toujours présente puisque c’est elle qui me fait avancer dans mon militantisme mais j’ai trouvé un équilibre et elle ne me bouffe plus comme avant.

Pas dans mon travail, pas encore. Je n’ai pas encore trouvé le moyen de faire quelque chose de ma colère. Chaque semaine qui passe me donne une raison de plus d’alimenter cette colère et ça me ronge.

Que faire? Comment?

Continuer le travail avec les patients coûte que coûte. Ouvrir ma bouche devant ce qui n’est pas acceptable. M’indigner devant des dérives sécuritaires au sein même d’un lieu de soin, devant des discours sur la bientraitance à base de kits et de protocoles.

Lire des articles sur l’éthique en psychiatrie pour penser la clinique autrement. Réfléchir sur notre position dans une institution en souffrance qui est maltraitante à tous les niveaux. 

A l’heure actuelle, il est urgent de trouver une façon de faire avec ma colère, mon symptôme, pour qu’elle soit productive et qu’elle ne me fasse pas tout envoyer balader.

La résignation serait un aveu d’échec, qu’il n’y a plus rien à faire et il m’est insupportable de fermer les yeux sur les maltraitances. Ne pas prendre parti c’est prendre parti. Par passivité.

Je suis peut-être encore en colère parce que je suis jeune, parce que je travaille depuis peu (en tout cas c’est le discours qui ressort chez mes collègues plus expérimentés) mais il est hors de question de devenir une psychologue résignée ou une psychologue aigrie.

Je préfère encore rester la psychologue chiante et en colère. Celle-là me convient mieux parce qu’elle réfléchit et ne s’enlise pas. Tant qu’il y a de la colère, tant qu’il y a de la pulsion, il y a du désir non? 

C’est peut être une illusion de croire que ça changera quelque chose, mais je préfère encore rester dupe – sans errer (coucou Lacan!).

Pour aller plus loin, les articles sur l’éthique qui me font réfléchir en ce moment (et si vous en avez d’autres n’hésitez pas à les partager!): 

https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2010-4-page-83.htm

https://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=8409

Une réflexion sur “Psychologue en colère ou psychologue aigrie?

  1. Isuzu dit :

    Merci pour cet article, qui résonne beaucoup en moi même si je ne travaille pas en psychiatrie (je suis dans le médico-social, dans le champ du handicap), ma colère face aux systèmes défaillants et maltraitants ne baisse pas. Ca fait du bien de savoir que d’autres réagissent ! J’espère fort ne jamais devenir une psychologue résignée moi non plus… Soyons fières d’être « chiantes » !

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